Ecrire à partir de presque rien

Ecrire…

Vous vous dites :

-Allons ! Je n’ai rien à raconter !

Vous croyez que, pour écrire, il faut avoir des choses significatives à narrer, des événements importants : une histoire d’amour, une soirée cruciale, une sortie sensationnelle, un message qui change tout…

Et si vous écriviez à partir de presque rien ?

Ce rond de soleil sur la nappe, le ronronnement du chat, le murmure de la chaudière qui se met en route, la dernière lueur d’un mégot, le reflet du temps dans un verre d’eau, la coupure qui cicatrise au bout de votre doigt…

Si vous écriviez chaque jour sur le quotidien qui vous entoure, ici et maintenant ?

Marguerite Duras a revendiqué le droit légitime d’écrire sur la mort d’une mouche :

« Ce jour, ce jour-là sans heure aucune, une mouche était morte. Au moment où moi je la regardais, il a été tout à coup trois heures vingt de l’après-midi et des poussières : le bruit des élytres a cessé. La mouche était morte.

(…)
Mais qu’une mouche meure, on ne dit rien, on ne consigne rien. Maintenant, c’est écrit. Oui, c’est ça, cette mort de la mouche, c’est devenu ce déplacement de la littérature. On écrit sans le savoir. On écrit à regarder une mouche mourir. On a le droit de le faire. » 1

Ecrivez sur l’anodin, sur le bourdonnement d’une mouche agonisante, le passage d’un nuage puis sur l’éclaircie qui s’ensuit et vous verrez que ce presque rien vous raconte la vie et la mort de chaque instant. Vous vous apercevrez que l’insignifiant vous donne des signes essentiels.

L’écriture devient alors contemplative. La page est votre tapis de méditation. Vous savez, au moment où vous le notez, qu’un instant naît puis s’éteint dans votre regard auquel vous donnez une intention.

Ainsi, vous demeurez assis sans aucune autre prétention devant le présent, prêt à tourner la page – déjà !- et à offrir à la page future tous les présents que vous recueillez par votre simple présence, ce presque rien qui vous fait prendre conscience que vous êtes complètement

vivant.

1 Marguerite Duras, Ecrire, 1993

Géraldine Andrée