Tenir un journal

Lorsque je demande à mes étudiants s’ils tiennent un journal, j’entends souvent de petits rires étouffés.

Le temps a beau passer…

La tenue d’un journal intime est toujours assimilée à de la mièvrerie, à du sentimentalisme débordant. On se représente une jeune adolescente se complaisant dans des peines de coeur qu’elle aura oubliées quelques années plus tard.

Tenir un journal est narcissique et superficiel selon les préjugés.

Pourtant, le temps a maintes fois prouvé que le journal intime est un genre littéraire à part entière où l’intime touche au collectif, le personnel devient universel.

Que l’on relise pour s’en convaincre Le Journal d’Anne Frank, le Journal d’Etty Hillesum ou encore celui de Katherine Mansfield. Ecrire sur soi, c’est poser un véritable acte de résilience, affirmer l’éternité de l’homme face à sa condition de mortel.

La liste sur les bienfaits du journal intime pourrait être longue.

Le journal permet de faire le bilan de ses émotions à travers les événements vécus. On sait alors davantage ce qu’on veut par rapport à ce qu’on ne veut pas ; on distingue ce qui est bon pour soi de ce qui est bon pour les autres ; on découvre que le bien vu sous l’angle social ne nous permet pas forcément d’être bien. On dessine sa vie ; on lui donne des contours ; on se trace un chemin ; on se donne un dessein.

Certains se sont tissé « une légende personnelle » grâce au journal. 1

C’est peut-être le seul genre où l’on écrit sans forcément songer à la publication et à la célébrité. Comme on ne pense pas être lu, on est délivré du regard et de l’appréciation d’autrui, ce qui nous rend notre liberté absolue.

Ecrire dans son cahier intime est un acte gratuit, donc pur, authentique.

On se représente de manière galvaudée le carnet fleuri qui se ferme avec sa petite clé dorée.

Mais on n’a cessé d’innover dans la manière de tenir un journal intime.

On peut se créer un carnet de gratitudes à relier soi-même ; on peut faire du scrapbooking, tenir un classeur de listes, relater ses mémoires de voyage dans le cahier à moleskine délicieusement désuet, appelé Carnet Hemingway.

Des exemplaires de journaux intimes sont téléchargeables sur Internet, dont par exemple, celui du Miracle Morning d’Hal Elrod.

Vous pouvez tenir un journal intime très prosaïque comme le bullet journal (à chaque page correspond une liste dans un domaine, à chaque pastille de couleur correspond une action dans ce même domaine) ou le journal de comptes appelé Kakebo (inspiré du carnet de chevet japonais).

Il existe aussi tout simplement le large cahier blanc, qui répond silencieusement toujours présent pour recueillir vos colères et vos chagrins lorsque votre psychologue est parti en vacances.

Vous pouvez tenir plusieurs journaux selon vos envies, vos besoins, vos désirs qu’impliquent les différentes périodes de votre vie.

Il est normal de se regarder dans le miroir chaque matin.

Alors, pourquoi serait-ce moins normal de tenir un journal ?

Ecrire est une toilette de l’âme. Je reviendrai sur ce sujet en temps opportun.

Aussi, demain, au cours de votre promenade dominicale, repérez la papeterie ou le bureau de tabac ouverts et achetez-vous votre journal.

Prenez le temps de le choisir : éprouvez sa reliure souple ou rigide, le grain du papier, son odeur, suivez vos phrases encore invisibles sur les lignes à partir de la marge ou dans l’espace tout blanc, qui n’est limité que par le bord de la feuille. C’est une véritable expérience de vie que d’élire son cahier.

A votre retour, faites-vous signe en haut de la première page.

Comme il est souvent dit, il n’y a guère que le premier pas qui coûte ; ici, c’est le premier mot qui, dès que vous l’écrirez, se mettra à votre écoute.

Et il n’y aura pas de confident plus proche, de thérapeute plus disponible, de coach plus efficace que Vous.

Géraldine Andrée

1 Expression de Paulo Coelho dans L’Alchimiste