L’écriture est comme la vie.
Chaque mot est un nouvel instant.
Chaque instant est un nouveau mot.
Pour vivre, il faut avancer sans cesse vers un autre moment.
Pour écrire, il faut aller de l’avant, vers l’espace suivant.
De même qu’il est néfaste de se retourner pour constater que des mauvaises décisions ont été prises dans le passé – ce que tu ne peux, de toute façon, plus changer -, il est stérile de revenir en cours d’écriture au tout début de la ligne, à l’affût de choix stylistiques qui ne seraient pas pertinents car cela ne fera qu’entraver ton élan créateur.
Fais confiance à ta plume. Elle est ton guide le plus sûr. Elle seule connaît le sens de ton voyage (c’est-à-dire la direction et la signification). Imagine que ton texte est un bateau qui vogue sur le fil de l’encre. Tu ne peux interrompre sa traversée. Aussi, laisse-le franchir la ligne d’horizon. En art, il est conseillé de se perdre du regard.
Alors, même si tu considères que tu as « mal écrit » les strophes ou les paragraphes précédents (« je n’aurais pas dû employer tel adjectif pour évoquer ce sentiment », « je trouve que mon style est ampoulé, que mon idée est redondante et que cette phrase est trop longue »), fie-toi à cette volée qui te propulse toujours plus loin.
Qu’importent, dans ta vie, les erreurs et fautes que tu as commises ! Tu vis dans un présent perpétuellement renouvelé.
Il en est de même dans l’écriture. Elle te donnera toujours la possibilité de t’encrer/t’ancrer dans une métaphore neuve avant que tu puisses reprendre ta route, malgré ton découragement. En effet, l’écriture, comme la vie, est une traversée. Il y aura du beau temps et du mauvais temps, des jours créatifs et des jours arides, des matins où tu expérimenteras l’éloquence et d’autres matins où tu éprouveras la profondeur du silence – pour sentir ensuite renaître une expression plus rayonnante. Tout cela fait partie de la vie de ton écriture – de la loi naturelle de son cycle.
Souviens-toi que ta page peut tout intégrer – les œuvres les plus originales comme les plus banales – et que, tel un miroir, elle ne te juge pas ; non : elle se contente de te renvoyer ton propre jugement. C’est Tout.
Sois donc clément et tolérant envers toi-même. Accepte, dans ton approche de terres vierges à conquérir, d’être imparfait, de manquer parfois de perspicacité, voire de talent.
On ne devient écrivain qu’en écrivant, c’est-à-dire en vivant l’écriture dans sa fluidité comme dans ses secousses, dans son confort comme dans ses cahotements. Il arrive que l’écriture coule puis s’assèche avant de reprendre son murmure. Ce sont les aléas du voyage. N’abandonne pas la navigation au moment où il y a un peu moins d’eau car, tu le sais comme moi, une nouvelle embouchure t’attend, t’espère et te promet l’Océan.
Fie-toi ainsi au mouvement autonome de ta main et de ton stylo. L’étendue de la page est là. Elle ne se retire pas.
Et lorsque viendra le temps où tu ressentiras en toi-même que tu as tout écrit, tout accompli, atteins la rive, descends du bateau, éloigne-toi et monte sur cette falaise.
Contemple de haut toute la page, tout l’océan, tout ton texte – toute ta vie.
Ne trouves-tu pas que chaque vague, quelle que soit sa hauteur, forme un tout harmonieux ?
On ne comprend le sens de la vie qu’une fois que l’on a suffisamment vécu pour en percevoir l’ensemble, l’œuvre complète, la trame où tous les fils – y compris les plus fins, les plus fragiles ou défectueux – s’enchevêtrent.
Il en est de même pour l’écriture. Ce n’est qu’une fois que le voyage est vraiment achevé que tu seras devenu le plus perspicace, le plus apte à juger ton texte avec objectivité.
Et tu prendras conscience que telle maladresse à la ligne deux était nécessaire pour formuler cette comparaison élégante à la ligne quatre, que telle idée allusive en début de paragraphe se précise ensuite, donnant à ton essai le rythme d’une démonstration intéressante, que ce vers qui semble se déhancher exagérément traduit, en vérité, de manière évocatrice ce déchirement intérieur. Tu mesureras combien le mauvais style de ton introduction est une étape nécessaire à un style plus audacieux, plus personnel dans ton développement.
De même que la vie t’autorise toujours à effectuer des retouches à chaque jour qu’elle t’offre, l’écriture te permet d’apporter toutes les corrections nécessaires dans un nouvel instant de lecture.
Mais pour cela, sois indulgent envers toi-même.
Et si tu sens que le moment est venu de réécrire certains passages, fais-le en accueillant ce nouvel instant contenu dans ce mot qui remplace l’ancien. Reprends ton bateau avec légèreté pour le retour et affine ta route d’une manière à la fois douce et persévérante, afin que ton prochain voyage soit encore plus riche en aventures et en images – et ce, en continuant à te fier au mouvement de l’écriture qui t’aidera à atteindre ton cap avec une plus grande confiance encore en Elle, et donc en Toi.
Géraldine Andrée
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