Quand je veux
faire le deuil
de ce que je n’ai pas vécu,
je m’endors
avec un recueil
de poèmes
sur mon cœur
et dont les mots
sont des yeux
d’or
qui me veillent
jusqu’à ce que je devienne
moi-même
Aurore.
Géraldine Andrée
Quand je veux
faire le deuil
de ce que je n’ai pas vécu,
je m’endors
avec un recueil
de poèmes
sur mon cœur
et dont les mots
sont des yeux
d’or
qui me veillent
jusqu’à ce que je devienne
moi-même
Aurore.
Géraldine Andrée
L’écriture est un courant. L’écriture coule comme le temps car chaque mot est un instant.
Philippe Jaccottet a célébré dans sa poésie le fait que l’on prenne de l’âge en écrivant. L’écriture, certes, en même temps qu’elle nous vieillit, nous emmène toujours un peu plus loin dans notre vie.
Comme l’eau qui ne se laisse pas freiner par une souche, une branche ou une pierre, qui les contourne en s’infiltrant dessous, en jaillissant au-dessus, en tourbillonnant tout autour, l’écriture nous aide à surmonter les obstacles, non en les supprimant, mais en les déjouant.
Lorsque vous ouvrez votre cahier pour raconter votre peine de cœur, vous vous fiez aux mouvements plus ou moins violents de votre psyché. Au fil de l’encre, vous vous apercevez que vous n’êtes plus tout à fait le même, que vous avez dépassé votre peine.
Vous êtes cette eau qui vous guide ; vous êtes les méandres qu’elle dessine ; vous êtes votre propre passage qui vous métamorphose. La page s’apparente au sable ou à la terre sur lesquels vous laissez votre trace.
Imaginez : quelle eau êtes-vous ?
Quel courant vous emporte de votre inconscient à votre conscient pour ensuite vous faire refluer de votre conscient à votre inconscient ? Quels éléments remonte-t-il à la surface ? Feuilles flétries, brindilles oubliées, cailloux polis, fétus minuscules, fleurs fanées ? A qui et à quoi l’encre sans cesse miroitante, sans cesse mouvante ouvre-t-elle la voie/la voix à fleur de papier ?
Êtes-vous eau douce ? Cascade sautillante ? Torrent rugissant ? Fontaine chantante ? Eau des orages, des bruines, des pluies ? Eau qui clapote dans la flaque troublée par la botte ? Lac paisible qui se contente du reflet qu’il donne à voir ? Eau de la vasque qui attend que votre visage s’y regarde ? Eau câline qui coule de votre pommeau de douche pour vous purifier de toutes les vicissitudes de la journée ?
Ou êtes-vous, au contraire, eau de mer ? Vague qui déferle sur la rive pour emporter avec elle vos châteaux de sable illusoires et fragiles lorsque sera venu le temps du reflux ? Eau salée, mordante comme les larmes ? La marée qui allie la violence de son élan à la dentelle de son écume lorsqu’elle atteint le rivage ?
Écrivez sur l’eau que vous choisissez d’être dans votre vie. Vous pouvez alterner selon vos moments, selon vos humeurs et les périodes de votre traversée : eau douce/eau dure ; eau tendre/eau fougueuse… Dessinez par un calligramme les méandres que vous laissez sur la feuille de papier ; décrivez ce que vous emmenez et ce que vous rejetez, ce que vous emportez et ce que vous déposez.
Vous êtes le courant de votre vie. À ce titre, vous avez du pouvoir sur vos désirs : que souhaitez-vous garder et que souhaitez-vous abandonner sur une quelconque berge ?
Faites la liste de vos peurs et de vos rêves. Puis, imaginez vers quoi votre psyché les destine : une rive plus lointaine ou une autre embouchure ?
Évoquez comment vous confiez les souches, les branches et les pierres à un océan – le Très Vaste, Dieu si vous préférez l’appeler ainsi. Voyez comment par votre créativité – un dessin, un poème – vous déjouez les épreuves de votre existence.
Écrire, c’est être à la fois l’auteur et le témoin de son empreinte déposée au creux du temps.
C’est être à l’écoute de sa Source.
Géraldine Andrée
Je l’ai déjà écrit,
Est-ce que c’est assez intéressant ?
tout est intéressant dans l’entreprise d’écriture d’une biographie. Et pourtant, beaucoup de ceux qui veulent mener à terme un tel projet ne cessent d’être taraudés par cette question :
Est-ce que ça vaut le coup ?
Souvent, ce sont leurs proches qui, inquiets de ce qui pourrait surgir au cours d’un tel processus de métamorphose de l’être que l’écriture de soi peut déclencher, posent cette question. Ou alors, c’est la partie contrôlante de soi – l’ego comme les psychologues l’appellent, Niegel sous le nom que donne à cet ego Julia Cameron, cette instance parentale sarcastique niant la partie créative et audacieuse en soi – qui parle ainsi. 1
Oui, ça vaut le coup.
Parce que tout est biographique.
On peut écrire et on a le droit d’écrire sur la nappe à carreaux de l’ancienne cuisine, sur la pipe de Grand-Papa et la manière avec laquelle il prisait le tabac, sur le crottin que laissaient les chevaux le long du sentier, sur le tablier d’école taché de peinture, sur la bulle de chewing-gum qui s’est accrochée aux cheveux en éclatant. Un rien, d’ailleurs, est susceptible de déclencher l’envie d’écrire sa vie. Je me souviens que la réminiscence d’une lampe jaunie par l’éclat des ampoules successives m’a incitée à écrire mon premier récit intime.
Si l’on sent, malgré tout, que ça ne vaut toujours pas le coup d’écrire sur soi, on peut écrire sur la relation de soi au monde. Pourquoi ne pas écrire l’histoire de son arbre ou de son animal ?
Commencez le journal de votre arbre ou de votre plante préférés. Chaque jour, notez le changement des feuilles, la variation des couleurs, l’épanouissement ou la léthargie de ce végétal, sa croissance ou sa pleine maturité. Prenez le temps de décrire sa disparition si tel est le cas.
Jugez-vous encore que ça ne vaut pas le coup de consacrer des mots – les vôtres – à ce qui marquera toujours votre psyché, quels que soient les événements et les circonstances ?
Faites de même pour le chat ou le chien qui vous sont chers – ou encore votre poisson rouge. Comment communiquez-vous avec votre animal ? Comment jouez-vous avec lui ? Comment vous accueille-t-il ? Pourquoi ne pas écrire un poème sur son regard ? Prenez le temps d’évoquer tous les détails, jusqu’à compter les points lumineux dans ses yeux.
Souvent, l’on déclare que le projet d’écrire sa vie ne vaut pas le coup car l’on craint, en parlant de soi, de faire preuve d’un orgueil démesuré. Mais, en écrivant sur la vie de votre jardin, de votre maison – ou de n’importe quoi d’autre -, vous constatez que le Je ne prend pas autant d’importance pour lui-même. Il prend de l’importance dans l’échange qu’il entretient avec le monde. Et vous voici le porte-parole et le chroniqueur de cet échange.
Enfin, il arrive de se dire que ça ne vaut pas le coup de « raconter ça » car l’on craint de donner une image peu avouable de soi dans ces pages. Or, c’est justement ce qui n’est pas avouable qui doit être le plus avoué – non pas comme l’on avouerait une faute sous le poids de la culpabilité, mais parce que cet aveu révèle de manière intéressante l’universelle complexité de l’esprit humain.
On a le droit de réserver un livret au souvenir de ses bêtises d’enfant ou à sa dépression post-partum, son burn-out au travail, son adultère, sa jalousie… Même les sentiments obscurs ont une place sur le blanc du papier.
Mais j’écrirai ultérieurement un billet plus long sur la biographie et le tabou.
Arthur Rimbaud a attribué une grande part autobiographique à ses poèmes. Dans Les Poètes de sept ans, il a consacré certains vers à décrire l’odeur et la fraîcheur des latrines dans lesquelles il s’attardait, attiré par cette pestilence. Et c’est ce lieu bien peu social qui lui a permis de déployer son rêve de liberté dans l’écriture et toute une palette d’images poétiques comme les « lourds ciels ocreux », « les forêts noyées », « les fleurs de chair aux bois sidérals ». « les parfums sains » et « les pubescences d’or ».
Alors, oui, cela vaut le coup non seulement de décrire l’insignifiant, le caché, le discret, le muet, mais aussi ce que l’on étiquette comme « animal », « bestial » – voire « dégoûtant »,
car tout est biographique.
Et tout est biographique car tout – même ce que d’aucuns appellent « un rien » – est vivant
tant que notre mémoire vit encore.
Et le principe de la vie elle-même est d’échapper à tout jugement.
Géraldine Andrée
1 Julia Cameron, Libérez votre créativité : osez dire oui à la vie ! La Bible des artistes, collection Aventure secrète
2 Arthur Rimbaud, Les Cahiers de Douai, Collection Poésie Gallimard
Retrouver
la chambre
de l’enfance
et sous l’édredon
qui fleure
bon
la lessive
de lavande
vivre
mes rêves
pendant que le feu
vermeil
et tranquille
d’un bouquet
de roses
me veille
Puis le lendemain
me voir
dans l’aube
du miroir
un peu autre
plus neuve
plus heureuse
ignorante
de toutes
ces épreuves
qui m’attendent
Sourire
ainsi
à mes yeux
tranquilles
en bordant
chacun
de mes cils
de mascara
bleu
sans me soucier
d’entendre
la voix inquiète
de ma mère
qui s’exclamera :
Voyons !
C’est beaucoup trop tôt !
Tu es si jeunette !
Géraldine Andrée
Me voici :
Je rentre
dans mon cahier
doux
et douillet
pour rêver
à loisir
et me reposer
de la Vie.
Géraldine Andrée
Tant pis si je n’y suis pas encore arrivée :
au moins ai-je posé le premier mot sur la page, le premier pas sur le chemin…
Et tant pis si ce chemin est encore long :
au moins ai-je connaissance de la destination…
Et tant pis si la destination me paraît bien lointaine :
au moins puis-je préparer un bagage pour savourer mon voyage…
Et tant pis si le temps de ce voyage dure une vie :
au moins sais-je profiter de chaque instant présent qui le compose…
Et tant pis si toute ma vie est dirigée par ce désir :
au moins aurai-je appris à déployer la voilure nécessaire à ma réussite…
Au pire, tant pis si je n’ai toujours pas réussi
car je me donne l’opportunité de rêver encore plus haut !
Alors, tant mieux
que ce soit tant pis :
ce qui me semble inaccessible aujourd’hui
possède l’éclat de l’astre
qui guide mes yeux
quand il fait trop nuit…
Géraldine Andrée
Je veux rendre honneur
à tous ces objets
qui accompagnent
mon écriture quotidienne :
ma vieille tasse
dans laquelle les thés
de différentes saveurs
ont laissé trace,
ma bouilloire
dont le ronronnement sûr
répond
à toutes mes questions,
mon bâtonnet
d’encens
écrivant
en silence
sa phrase
qui danse
en volute
grise
jusqu’à la page
blanche
du plafond,
et surtout
ma pierre
d’améthyste
dont les lueurs
m’inspirent
un mot de foi
à chaque fois
que j’ai noté
un mot triste…
Géraldine Andrée
Lorsque je vis si intensément que j’en oublie d’écrire, je sais que l’écriture est là, malgré tout, avec son encre à la source de qui je suis.
Et lorsque viendra le temps de me reposer, je pourrai reprendre mon cahier Blueday afin d’ajouter aux épisodes passés la goutte et la note de l’instant présent, faire paisiblement le point.
J’entrerai dans le silence de la page comme dans une maison qui m’aura attendue depuis longtemps. Chaque carreau de la ligne sera une fenêtre ouverte qui m’offrira le plus juste regard sur le monde.
L’écriture est ce pays où je reviens toujours après avoir vécu.
Géraldine Andrée
Plus que des événements
la biographie peut être
le témoignage
du souffle du vent
qui mélange
les couleurs
de la colline
à la fenêtre
de jadis
demeurant
ouverte
aujourd’hui
et elle peut laisser
pour ciel
une page
aux ailes
de la mésange
recueillie pendant l’enfance
et qui prête
son bleu à l’encre
en chemin
Géraldine Andrée
Un poème
de la Chine ancienne
me fait entendre
dans la chambre
le chant
de la pluie fraîche,
une pluie qui date
d’un millénaire
et qui déverse
toutes ses notes
sous ma lampe,
de telle sorte
que le silence
de cette nuit
crépite
comme une brindille
sur le sentier
que le poème
de l’an mil
me dessine
depuis jadis
– ce temps
où n’étant moi-même
que silence,
j’ignorais tout
de l’existence
des poèmes
et de la pluie…
Géraldine Andrée