Mon seul voeu
Être éclairée
jusqu’à l’aurore
par un poème
Géraldine Andrée
Mon seul voeu
Être éclairée
jusqu’à l’aurore
par un poème
Géraldine Andrée
Je suis riche
de chaque poème
unique
Géraldine Andrée
J’ai rêvé d’un savon rond de Méditerranée,
un savon qui fleure bon le laurier-rose et la rose-thé,
un savon doux pour le retour des après-midi de plage.
C’est à cela que sert chaque page
de mon carnet de chevet :
noter tout ce qui est,
comme le sillage
qu’a laissé il y a bien longtemps sur la peau
une mousse de lumière et d’eau.
Géraldine Andrée
Avec trois gouttes d’encre
sur fond blanc
je trace le chemin
du silence
Géraldine Andrée
Rature
Tu surviens
et pourtant
rien ne s’arrête
Je vais vers
un nouvel espace
Un autre mot
s’apprête
à me faire présent
de sa naissance
et je te vois
autrement
vague fleur
lune noire
et cependant
incandescente
pelote de laine
chaton qui dort
poussière d’astre
grain de temps
Tu as toute
ta place
dans l’importance
de mon message
car tu m’enseignes
par ta présence
la tolérance
avec moi-même
Géraldine Andrée
Soudain
le vent m’appelle
par le titre d’un poème
et j’ouvre le coeur
de mes mains
Géraldine Andrée
Chaque jour
je pose
l’aile
d’une intention
dans un mot
Aujourd’hui
c’est
Gratitude
Géraldine Andrée
Un certain nombre de personnes perdent, en ce moment, leurs proches sans avoir pu leur parler, les embrasser.
Le deuil est d’autant plus difficile à vivre. Il arrive, lors de cette traversée de la douleur, que des hallucinations nous assaillent – qu’elles soient visuelles, auditives, olfactives, tactiles.
Ce peut être un foulard que l’être aimé portait autour de son cou et qui nous revient, avec ses couleurs vives, son morceau de musique préféré qui tourne comme s’il était joué près de nous, son parfum fétiche, un geste propre à sa personnalité, son grain de beauté qui s’agrandit sous la loupe de notre mémoire, l’inflexion particulière de sa voix.
Quand j’ai perdu mon père, je l’ai entendu tousser un matin, dans la pièce d’à côté.
Ecrivez ou dessinez ces hallucinations. Faites de la place sur la page pour la couleur du foulard, l’émotion de la musique, les senteurs de ce parfum proche de votre peau, l’ombre de son geste dans la lumière du jour d’aujourd’hui, les contours du grain de beauté, la présence des mots à l’invisible sillage. Coloriez, tracez, gribouillez dans tout l’espace que laisse le manque. Mettez des pointillés, accrochez des étoiles à l’absence. Découpez un carré du tissu que vous aimez et placez-le à côté du souvenir du vêtement qu’il/elle portait.
Ecrivez un poème sur ce qui vous obsède.
Quand j’ai entendu la toux de mon père, j’ai écrit ceci dans mon Cahier blanc pour mon deuil :
« Je t’entends tousser à l’aube dans la pièce d’à côté. Je me lève. Je consens à sortir de mes rêves qui me font oublier ton départ. J’ouvre la porte. Je franchis le seuil qui me sépare de toi. Tu n’es pas là. Mais il y a ce rayon de soleil qui touche mes épaules et dont la chaleur ressentie me prouve que je suis bel et bien là. Peut-être m’as-tu guidée vers ma propre présence sans laquelle tu n’existerais pas. »
Une fois que vous avez extériorisé ces hallucinations, vous avez déposé votre douleur et l’être perdu peut vraiment vivre en vous car vous êtes plus disponible, plus vivant, vous aussi.
Comme Elisabeth Kübler-Ross l’écrit :
« Il est courant, et normal, d’avoir des hallucinations de l’être cher disparu. Souvent, elles sont porteuses d’un message en provenance de notre psychisme endeuillé. Bien que parfois effrayantes, elles sont généralement inoffensives, et recèlent de précieux indices, des fils à remonter jusqu’à leur origine. Dans certains cas, elles nous pointent une affaire inachevée ; dans d’autres, elles nous apportent un grand réconfort. »1
Au lieu de penser que vous êtes malade ou que vous avez peur, rendez grâce à ces hallucinations : le temps d’un parfum, d’un mot, d’une couleur, vous retrouvez celui qui demande à exister là où vous êtes : votre coeur.
Géraldine Andrée
1 Elisabeth Kübler-Ross et David Kessler ; Sur le chagrin et le deuil ; Pocket Spiritualité
Comme
l’araignée
entre
les branches
donne
naissance
en silence
à sa toile
qui s’étoile
au soleil
de gouttes
de rosée
je veux tisser
un poème
puis une fois
l’ensemble
achevé
me reposer
à l’aube
en son centre
tandis
qu’un souffle
viendra
me bercer
Géraldine Andrée
Je lis beaucoup de poèmes pendant le confinement. Et ces jours m’ont menée à la redécouverte de la poésie de Nazim Hikmet.
J’ai rencontré son recueil Il neige dans la nuit 1- étrange coïncidence ! – un mois avant mon départ pour un pays proche de sa patrie : la Syrie.
Dix années plus tard, je l’ai relu pendant mon vol pour l’île de Majorque.
Qu’importe le temps ! Les vers de ce poète tintent comme le soleil au contact de l’éternité.
Aujourd’hui, je lis Nazim Hikmet chez moi, en partance pour mon pays intérieur.
C’est le poète emprisonné dans les geôles de Turquie.
Et j’aime être le témoin de ses mots qui effacent les barreaux.
Dans son poème Au cinquième jour d’une grève de la faim, il fait apparaître, dans l’ombre de son cachot, la main de sa mère, de sa bien-aimée, de son fils. Et face à la mort à venir – qui viendra en vérité bien plus tard car le poète survivra à la prison et à l’exil – , il affirme la pérennité de sa voix dans un vers d’Aragon, la colombe blanche de Picasso, les chansons de Robeson, le rire des dockers de Marseille. Cet adieu se fait liberté :
« Pour vous dire la vérité, mes frères,
je suis heureux, heureux à bride abattue.« 2
Je me souviens de la solitude de mon adolescence et je songe combien j’ai eu de la chance, entre ma lampe de chevet et mon lit, d’être conviée à la table des poètes.
Venaient exclusivement pour moi des noms jusqu’alors inconnus, puis familiers devenus – René-Guy Cadou, Emile Verhaeren, Philippe Jaccottet, Marie Noël, Maurice Fombeure, Pierre Reverdy, Eugène Guillevic, Jean Tardieu…
Il y avait toujours un jardin qui m’était réservé, un épi de blé à maturité, un sentier qui me guidait là où il souhaitait aller. Et même lorsque la pluie de décembre battait rageusement les vitres, j’étais au coeur des senteurs de juin, dans le bleu de l’été rimbaldien.
Dans ma chambre d’adolescente mal comprise, le poème devenait une chambre dont j’étais la fenêtre ouverte, par laquelle entraient un air de fête foraine, une vague déhanchée dans sa robe de dentelle, une lune rose au centre de la nuit chaude, des cheveux dénoués par l’orage, l’odeur envoûtante du chèvrefeuille.
Tel est le miracle de la poésie de Nazim Hikmet et de tous les autres :
léguer le don de l’accueil.
Géraldine Andrée
1 Nazim Hikmet, Il neige dans la nuit et autres poèmes, Poésie Gallimard, 2005
2 Ibid ; Au cinquième jour d’une grève de la faim p102