C’était un couloir qui menait au coeur de la maison.
En passant à pas lents derrière les portes, on se faisait le témoin caché des chuchotements, des souffles mêlés, des éclats de rire, des éclats de voix, des pleurs, du tintement des assiettes, des cris du nourrisson.
Dans le couloir, cela fleurait bon, selon la saison,
la cannelle, les pommes au four, la poule au pot, les infusions à la menthe, le café chaud, le lait de brebis, le gâteau bien cuit, le soufflé de courgettes, les tomates farcies.
Le couloir a mené tout au coeur de la maison des amies comme Cécile, Marthe, Valérie, Odile, Alice.
On a entendu courir Claire qui revenait de la promenade, ébouriffée et les joues rosées, puis les enfants de Claire – Charles, Andrée, Gisèle, Pierre.
Par une aube de juin, on a suivi la traîne de mariée de sa fille Andrée, qui ondoyait comme un lis sur les lames de bois.
Les dimanches de printemps, le couloir brillait, tout enduit de cire d’abeille.
Un lundi, il était si glissant que le notaire est tombé, avec ses dossiers ouverts sur son ventre bedonnant !
Cette anecdote grotesque s’est transmise de génération en génération.
Un matin de la Libération, une lettre a chu comme une feuille brusquement détachée des mains douces de Claire. Il y était annoncé que Charles avait été tué au front.
Dans ce couloir éclairé par la lune est souvent apparue la sage-femme, ange blanc inespéré au milieu de la nuit constellée de sueur.
Au bout de l’attente, le cri neuf se déployait comme une étoile.
La grâce révélait enfin toute sa profondeur.
Et puis, tu te souviens bien de ce jour de septembre où un cercueil a franchi le seuil de ta chambre.
Le long du couloir, on avait tendu les épais draps noirs du silence.
Quelles que soient les épreuves ou les joies, ce couloir – j’en suis certaine – guidait le visiteur vers le coeur de chaque membre de la famille.
C’était, voyez-vous, le couloir de la Vie.
Géraldine Andrée
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