Écrire en enfance 5 : Raconte-toi des histoires

Enfant, je ne pouvais guère m’exprimer. Je ne parlais pas de mes expériences. Les conversations avec mes parents tournaient toujours autour des notes que j’avais obtenues à l’école et des devoirs à accomplir. J’avais l’impression d’être transparente. Certes, j’existais. Je voyais mon visage en passant devant le miroir et ce regard qui m’interrogeait :

Qui étais-je donc ?

J’éprouvais des sentiments complexes – souvent l’espoir dérisoire d’être autorisée à prendre la parole à table. Et j’entendais mon cœur battre quand je me couchais le soir.

Donc, j’existais.
Mais comment être vivante ?

C’est ainsi que je transformai tous les mots que je gardais pour moi en histoires. Je ne sais pas comment cela m’est venu. Rétrospectivement, je crois que je l’ai toujours fait.

Je me souviens d’intrigues secrètes que je créais au fond du jardin, entre le sapin et le noisetier, là où le fil à linge était tendu. Évidemment, j’avais peur d’être surprise par ma mère. J’avais l’impression de pratiquer quelque chose d’interdit mais je le faisais tout de même, avec l’entêtement de l’enfant qui ne se résigne pas à la médiocrité de l’univers familial. J’inventais des vies extraordinaires, d’heureux rebondissements , des retournements de situation qui métamorphosaient de manière inattendue des désespoirs en bonheurs. Je m’octroyais un pouvoir magique qui convertissait une épreuve en joie. Je faisais converser des personnages qui – je le réalise aujourd’hui – étaient de multiples facettes de moi. Je devenais ma propre fée.

En me racontant de telles histoires, j’adoptais un ton si mélodramatique qu’il m’arrivait de frissonner et de pleurer comme devant un spectacle de théâtre. Mais c’étaient des larmes de libération. Je me délivrais ainsi des non-dits. Je recouvrais ma puissance – celle de la parole qui permet de se définir par rapport au monde.

Pourquoi est-ce que je te raconte cette histoire ?

Parce que tu as, toi aussi, la capacité de reconquérir ta force. Quand tu crois que le fil de ta vie t’échappe, que les autres te définissent à ta place, que tu n’as pas su répondre à leurs critiques, qu’ils te confisquent ta possibilité de faire des choix, de prendre des initiatives et que tu n’as plus de libre arbitre, tu peux entrer en contact avec ton pouvoir qui consiste à te raconter tes histoires !

Plus tard, j’ai déposé sur le papier ces récits dont le jardin de mon enfance a été le silencieux témoin. Tu peux le faire, toi aussi.

Comment, concrètement ?

Je te suggère ici quelques pistes d’écriture qui ne sont, bien entendu, que des indications. Emporté par le flot de tes autofictions, tu créeras sûrement les tiennes !

  • Sur ton cahier du matin, écris un récit où tu parles de toi à la troisième personne. Raconte les difficultés de ta journée précédente, tes attentes, tes déceptions :

« Elle se demande s’il va lui téléphoner aujourd’hui. Elle se revoit lui dicter son numéro. L’a-t-elle bien prononcé ? L’a-t-il bien entendu ? Que de doute ! Encore une occasion manquée… Décidément, elle n’en rate pas une ! Mais enfin, qui lui dit qu’il y a eu malentendu dans les chiffres du numéro ? C’est comme ça ! Elle a toujours eu la manie de se juger ! Elle se souvient. Cela lui vient de sa grand-mère qui jugeait tout et n’importe qui dans sa cuisine… »

En te distanciant par ce pronom personnel, c’est comme si tu te projetais dans un autre toi-même. Tu es à la fois l’auteur et le personnage. Et comme tout auteur, tu es inspiré par ce personnage dont tu es le démiurge. Celui-ci va t’entraîner dans cette vie palpitante que tu lui insuffles. Et alors, tu verras, des solutions inattendues se feront jour. Tu te découvriras un immense talent créatif : celui de résoudre des problèmes que tu croyais insolubles en décelant leur origine !

  • Si tu avais une baguette magique, que transformerais-tu ? Quels domaines de ta vie améliorerais-tu ? Ne sois pas avare en détails. Explore le vocabulaire positif des miracles obtenus : je trouve un travail enrichissant avec des collègues agréables… Je travaille dans un open-space lumineux et de merveilleuses plantes fleurissent sur mon bureau… Cet exercice t’aidera à cerner les points de ta vie dont tu veux désormais être satisfait et le moyen de t’apporter ces changements. Après tout, faire éclore une plante près de ton ordinateur est peut-être le premier bon geste à poser pour te sentir mieux au travail…
  • Si tu étais une bienveillante fée penchée sur ton berceau à ta naissance, quels talents te donnerais-tu ? Quelles belles expériences à venir t’offrirais-tu ? Imagine l’endroit où tu serais bien. S’il n’y avait plus de limites de temps et d’argent, que réaliserais-tu en toute authenticité ? Relate les scènes avec précision. Au besoin, utilise des encres de couleur pour formuler le potentiel de ces expériences. Elles t’aideront dans la visualisation de ton futur à vivre.
  • Transforme ton parcours de vie jusqu’à aujourd’hui en conte. Donne-toi une mission. Dresse un portrait de tes adjuvants (tes amis). Décris comment tes opposants (tes ennemis) se sont mis en travers de ton chemin. Enchaîne les péripéties de ta vie. Note les formules incantatoires, les ressources, les pensées qui t’ont permis de surmonter les obstacles. Tu es donc arrivé à la bonne étape : ici et maintenant. Comment comptes-tu poursuivre ta route ? Imagine un happy end qui n’est pas forcément le cliché social du conte – « Et ils se marièrent et ils eurent beaucoup d’enfants » – mais ton propre happy end, « l’accomplissement de ta légende personnelle » comme le dirait Paulo Coehlo.

Invente-toi des histoires qui te mènent à ta vérité – incontestable et comparable à nulle autre.
En ouvrant les chaînes invisibles qui te rendent victime, tu découvriras que tu es le héros/l’héroïne de ta vie car tu es enfin devenu l’auteur de ce récit original qui t’appartient depuis le premier instant de ta naissance.

Géraldine Andrée

@L’Encre au fil des jours

Photo de JoEllen Moths