Les épreuves d’une biographie

Lorsque vous avez le projet de faire de votre vie une œuvre, et surtout de la publier, nous dupliquons ce livre en plusieurs épreuves. Et au cours de ces narrations successives, modifications, écritures et réécritures, nous serons fatalement confrontés, vous et moi, aux épreuves de votre existence.

La Vie, comme vous le savez, déroule rarement son fil de manière continue et tranquille. Souvent, ce fil s’interrompt, se rompt, se perd… Il faut donc le retrouver, en renouer les bouts, effectuer de nouveaux raccords et accords avec soi-même…

Mais alors, comment écrire cette « Vie bouleversée« ?

C’est à bon escient que je reprends le titre du Journal d’Etty Hillesum 1 car ce livre retrace à merveille le virage que fut la vie de la jeune Etty lorsque les persécutions nazies ont transformé sa façon de vivre et tout son être… De nombreux détails – aussi bien matériels que spirituels – constituent de précieux indices sur ce chemin que l’écrivaine trace pour atteindre une destination qu’elle souhaite certaine – et qui n’est autre qu’elle-même dans un monde qui a basculé dans une perte totale de sens.

Nous pouvons faire de notre écriture commune un semblable voyage et en franchir les obstacles.

  • Il peut arriver que, lorsqu’une épreuve remonte à votre conscience, vous soyez si submergé que vous ne trouviez pas les mots. Aussi intégrons-nous dans votre récit la formulation de l’indicible : « Je ne sais pas« , « Je ne me souviens plus… », « Comment dire cette douleur, cet immense chagrin ? » Nous utilisons des hyperboles pour laisser au lecteur le soin d’imaginer l’ampleur de ce que vous avez vécu : « L’éclair fulgurant d’une nouvelle lucidité me traversa tout entière« . Je vous renvoie pour cela à mon billet Le cahier de l’indicible. Oui, nous pouvons écrire sur l’absence de mémoire qui devient un thème en lui-même.
  • Dans ce cas, nous passerons par la narration de souvenirs fictifs pour retrouver les vrais. Quand Catherine voulut restituer l’épisode de l’infidélité de son amant, elle fut incapable de raconter la vision brutale des corps enlacés sur le lit conjugal. Alors, quitte à travestir le souvenir initial de la découverte de l’adultère, elle s’attacha dans un premier temps à évoquer la trace des corps sur les draps, « l’empreinte, le sillage qu’ils y avaient laissés » – bien que cette vision fût la dernière et non la première qu’elle eut de cet épisode pénible. Il lui était nécessaire de transformer d’abord ses souvenirs pour se confronter ensuite à la réalité de l’épreuve de son passé et à son caractère irréparable.
  • Lorsque les souvenirs atteignent le cap de l’inacceptable, l’inimaginable, l’inconcevable, ils laissent un écran blanc dans la conscience ; c’est ce que l’on appelle en psychologie le refoulé. Aussi étonnant que cela puisse paraître, nous nous donnerons pour objectif d’écrire – et donc de fixer – cet écran blanc. Je me souviens qu’en lisant Les Mots pour le dire de Marie Cardinale à l’âge de dix-sept ans, je fus frappée par l’expression « le mur est blanc comme le mensonge«  2 lorsque la narratrice évoque les toilettes où la vie s’éloigne d’elle par flux de sang parce qu’elle a été victime des non-dits parentaux et des trahisons familiales quand elle n’était qu’une fillette. Et pour vous, à quoi ressemblerait ce blanc ? Serait-ce celui d’une chambre d’hôpital ? D’une salle de bain glaciale ? D’une chambre d’hôtel ? Du sable d’une plage vierge ? Nous pourrons décrire toutes les gammes du blanc – allant du blanc brillant au blanc terne, du blanc pur au blanc souillé, du blanc intact au blanc cassé, voire brisé, les néologismes servant à qualifier au plus près vos sentiments. Que vous révèle cette blancheur ? Que se cache-t-il derrière cette absence de couleurs ?
  • Et si le chemin des mots se trouve difficilement, il nous est possible d’initier l’entretien par un gribouillis, un dessin, une image que nous intègrerons au texte puis au livre. C’est ainsi que l’écriture d’une biographie est susceptible de devenir séance d’écritothérapie et d’art-thérapie. Certes, beaucoup de biographies comportent des photos d’une vie – c’est, je dois dire, l’aboutissement classique d’un livre de vie. Mais ce que je peux vous proposer dans le cadre spécifique d’une écriture résiliente, c’est d’y intégrer les dessins de vos émotions et de vos états d’âme qui permettront une verbalisation plus aisée de vos souvenirs.
  • Parfois, le bouleversement d’une vie est tel que vous êtes devenu un autre et que votre existence ne ressemble plus à celle qu’elle était auparavant. Ensemble, nous décrirons ce virage en comparant vos deux identités, l’ancienne à la nouvelle.

Que faisiez-vous autrefois ? Que faites-vous maintenant ?

Comment vous percevez-vous, après cet ébranlement de vos certitudes ?

Quelles sont vos nouvelles valeurs ?

Quel est votre regard sur votre ancienne vie ?

Qu’avez-vous découvert dans ce virage ? Qu’est-ce que cette transformation subie et subite vous a apporté comme enseignement, éclairage sur vous-même ?

Comment avez-vous intégré dans votre quotidien d’aujourd’hui ce bouleversement ?

Certains ont choisi le bouleversement de leur vie comme thématique centrale de leur livre. Et à ce titre, ils font de l’interruption du fil de leur vie, une œuvre à part entière.

Il en est ainsi des récits d’emprisonnement, de maladie, de déménagement, de reconversion professionnelle. L’autobiographie peut même basculer dans une dimension spirituelle. On explorera l’itinéraire d’un coma, le voyage provoqué par une sortie de corps, l’aventure d’une expérience au seuil de la mort en récoltant les souvenirs visuels, auditifs, tactiles, olfactifs, voire gustatifs déclenchés par cette vie parallèle. 3 On peut intégrer dans votre biographie toutes les images oniriques qui ont fait partie de votre résilience, étudier comment celle-ci ont élargi votre retour au réel et donné une autre signification à votre vie en expansant votre conscience.

En effet, une nouvelle vie n’est pas forcément une vie qui bascule. Une nouvelle vie peut simplement découler d’une métamorphose de votre regard personnel sur les événements, comme l’explique mon billet L’événement intérieur dans une autobiographie.

Le kintsugi de votre biographie

Il existe au Japon une technique très ancienne qui consiste à réparer un vase brisé en comblant ses fêlures par de l’or. Un long fil d’or remplit les fissures du vase – aussi nombreuses soient-elles -, ce qui donne à celui-ci un éclat qu’il n’aurait pas possédé s’il n’avait pas été brisé, une beauté plus précieuse que lorsqu’il était intact. C’est que l’on appelle l’art Kintsugi.

Beaucoup de psychologues comparent l’art Kintsugi à l’esprit de la résilience. Et je demeure convaincue que la résilience est un art. On peut prendre plaisir à guérir, c’est-à-dire à écrire ses épreuves dans un livre qui se déclinera en autant d’épreuves que vous avez de proches ou d’amis capables de les lire, de les accueillir, de les comprendre.

Comme pour un vase Kintsugi, l’encre sera ce fil d’or réunissant tous les fragments de votre existence dans un livre profond qui contiendra toute la beauté de votre renaissance.

Je peux vous accompagner en tant que biographe-écritothérapeute dans le déroulement de ce fil d’écriture qui transformera vos blessures de vie non seulement en cicatrices, mais aussi en traces inspirantes pour autrui.

Géraldine Andrée

Petite bibliographie

1 Etty Hillesum, Une vie bouleversée, suivi de Lettres de Westerbork, Collection Points
2 Marie Cardinale, Les Mots pour le dire, Le livre de poche
3 Nicole Dron, 45 secondes d’éternité, Mes souvenirs de l’au-delà, Éditions Exergue

Pour en savoir plus sur la stylisation des expériences de vie :

Et je vous renvoie à mon podcast