Ecrire en enfance 3 : Goûts et couleurs

Certaines personnes hésitent à commencer une autobiographie car elles doutent de leur capacité à se souvenir.

Pourtant, l’expérience m’a montré que, dès que l’on met en œuvre le projet d’écriture, c’est-à-dire que l’on convient de la date d’un entretien, que l’on fait entrer le biographe chez soi, que le cahier est ouvert, le processus de la mémoire se déclenche.

Un souvenir apparaît et, très souvent, c’est un souvenir d’enfance car – voyez-vous – je crois que l’enfance est perpétuellement en nous et qu’elle attend patiemment de notre part un petit signe de reconnaissance.

Qui aurait soupçonné que ce bouquet de lilas demeurait présent, là, dans un coin de notre esprit, alors que tant d’années ont passé ? Il fleurit toujours vivement, malgré trente printemps.

Les anciens souvenirs qui remontent à la surface de la page concernent souvent des sensations. La narration des événements reliés à ces sensations viendra après… Mais dans les instants qui initient un récit, il est essentiel de reconnaître et de savourer qui l’on a été, tout petit, dans notre rapport au monde.

Le client peut, par exemple, se souvenir

  • de l’odeur de la terre mouillée du jardin après la pluie ;
  • du goût du bâton de réglisse qu’il suçait sur son oreiller, convalescent d’une varicelle qui a bien failli l’emporter ;
  • de la couleur magenta de son feutre d’école. « J’ai voulu m’y noyer, tellement c’était une couleur profonde » dit-il ;
  • du tintement de rideau de perles à l’entrée de l’épicerie de sa grand-mère ;
  • du pelage du chat qu’il caressait sur le couvre-lit avant de s’endormir.

Même si l’on peut partir du présent pour réaliser une autobiographie, il est très fréquent que le souvenir d’enfance constitue le point de départ à l’écriture.

Nous pouvons, bien sûr, commencer par une date et un endroit de naissance :

Je suis né le 3 janvier 1956 dans la petite ruelle des Trois-Sœurs.

Mais la réminiscence d’une sensation de jeunesse constitue aussi une porte d’entrée pour le Je de l’adulte – redevenu enfant – dans le livre de sa vie :

Je me rappelle bien de l’odeur de friture dans la cour. Je rêvais de beignets avant d’aller à l’école. Je revois ma mère de dos, devant sa gazinière, et je lui demande :
Tu pourras me faire des beignets quand je rentre ? Je me délectais déjà du sucre glace saupoudré sur la pâte chaude !

De même, écoutez, dès la première phrase, comme tinte le rideau de perles. Vous écartez les perles de votre pouce et, lorsque vous traversez ce rideau, celles-ci sèment leurs notes scintillantes sur vos épaules. Vous voilà revenu dans l’épicerie de votre grand-mère. Et toute votre vie peut ainsi vous suivre…

Pour cette raison, n’hésitez pas à vous munir, au cours de ce voyage d’exploration de soi qu’est l’autobiographie, d’un carnet pour noter tous les lointains souvenirs sensoriels qui visitent votre présent et d’intituler – pourquoi pas – ce carnet

Mes petites madeleines 1

La biographie est l’occasion de servir sur ce plateau qu’est votre livre ces délicieuses petites madeleines qui font que votre mémoire est toujours le salon – ou la cuisine ou l’épicerie – de votre enfance.

Aussi, ôtez le pouce que l’adulte que vous êtes pose encore sur votre bouche d’enfant et approchons-nous ensemble pour recueillir ses secrets d’antan.

Géraldine Andrée

1 Allusion au récit de la petite madeleine de Marcel Proust dans La Recherche du temps perdu.