Publié dans Journal de mon jardin, L'alphabet de l'herbe, Poésie

Quelques pas encore

L’aile
de l’ultime
rayon de soleil

s’envole
loin
de mon épaule

Je me penche
dans l’ombre
du sentier

pour récolter
peut-être
deux ou trois

graines
de ton rire
prêtes

à fleurir
au bord
de ma mémoire

mais il n’y a guère
que les frêles
points

de suspension
qu’une première
luciole

allume
après le souvenir
de tes paroles

Je reviendrai
à la belle saison
En attendant

je fais encore
quelques pas
jusqu’à la grille

que je referme
sur mon cœur
tranquille

Géraldine Andrée

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L’indépendance émotionnelle de l’écriture

On écrit pour

  • aller mieux
  • faire le point
  • éclairer son passé
  • dessiner ses projets
  • retrouver sa vérité, après avoir fait le deuil de toutes ses illusions…

Toutes ces justifications sont pertinentes. Je te suggère de dresser une telle liste de motifs d’écriture, de l’accrocher sur la première page de ton journal intime et de l’enrichir au fil du temps. Cette liste t’accompagnera dans ton évolution personnelle.

Mais, puisque les raisons d’écrire ont souvent été étudiées par les psychologues et les critiques littéraires – dont Philippe Lejeune, en particulier, dans son ouvrage Cher cahier qui interroge les motivations de l’autobiographie -, je te propose aujourd’hui de te questionner non sur l’explication, mais sur le processus d’écriture.

Remplacer le Pourquoi par le Comment ?

Comment écris-tu ?

J’écris

  • pelotonnée sous ma couverture
  • après la douche, cheveux mouillés
  • mon chat à côté de moi
  • en buvant une tasse de Yoggi Tea
  • mon cahier sur les genoux…

Très vite, si tu développes l’exercice, tu t’apercevras que tu écris sur cette question fondamentale :

Comment je me sens lorsque j’écris ?

« Quand j’écris dans mon journal, j’habite simplement l’instant présent. Je suis là, dans l’éclat de l’encre sur le cahier blanc. Je suis attentive au mouvement de ma main qui va doucement pour rattraper ce rayon de soleil. Raconter ce que j’éprouve, ici et maintenant, ma main gauche posée sur mon front tandis que ma main droite trace son chemin sur la feuille posée devant moi. Écrire est un voyage immobile. Ma poitrine se soulève lentement ; mon souffle est calme. C’est une course patiente et lente, dont la justesse réside dans l’absence d’intention.
Quand j’écris, je prends conscience que je vis.
« 

Tu explores ainsi la pureté de l’écriture en tant qu’acte gratuit. En écrivant pour écrire, tu te détaches de toute éventualité d’être lu, jugé, publié. Tu perçois combien tu gagnes en qualité d’être. Tu oublies que tu écris pour être pleinement dans l’action elle-même. D’ailleurs, tout ton corps se relâche ; tes épaules se détendent ; la pression sur le stylo se fait moins forte. Tu te laisses porter par ton propre rythme qui allie celui de l’écriture à ton souffle.

Anny Duperey, dans Le Voile noir, raconte que, pour alléger « le poids de son cœur  » – qu’elle portait depuis l’âge de ses neuf ans quand ses parents moururent tous les deux d’une intoxication au monoxyde de carbone -, elle écrivait uniquement afin d’entendre le frottement de sa plume sur le papier : cela lui faisait perdre le désir de contrôler l’incontrôlable qui avait envahi sa vie.

L’écriture devient respiration.

Dès lors, la frontière entre « faire » et « être » s’amincit. Tu t’approches du seuil de la méditation.

Et c’est au moment où s’efface la ligne qui sépare ton être de ton texte, où ta phrase rejoint ta respiration que l’inattendu – voire l’impensable – se produit. Peuvent jaillir un haïku, un poème, une nouvelle… Mais loin de toi est l’envie de travailler ce texte comme un objet d’art car il se passe quelque chose de plus important que l’art en lui-même – qui, souviens-toi, a besoin du regard d’autrui pour exister -, tu deviens – comme le méditant devient ce qu’il voit -, ce que tu écris.

Tu deviens

  • le bleu de la fenêtre à l’aube
  • l’aile de ton songe
  • une flamme follette
  • un halo de buée
  • ta propre étoile…

Tu es Toi et, en même temps, la braise dans le cendrier, la mie de pain, la goutte d’eau, la maille de ton chandail, l’ongle de ton index – si tu écris sur ça.

Tu es Toi et tout cela à la fois. Tu es Toi parce que tu es Tout. Et tu es Tout parce tu es Toi.

En te fiant au processus naturel de l’écriture, tu parviendras alors, peut-être, à saisir l’essence de ton objectif : gagner en autonomie affective, en indépendance émotionnelle par rapport à autrui. Écrire parce que tu prends plaisir à le faire et surtout, parce que tu existes et que c’est ton droit absolu de naissance de t’exprimer.

Pour finir, je te propose une liste de sujets d’écriture qui t’aideront à voyager avec ta plume vers qui tu es vraiment, au moment où tu écris :

  • Quand j’ai ouvert ma fenêtre…
  • Si j’étais une couleur, je serais…
  • Je ne me souviens pas de ma petite enfance, mais tout ce que je peux dire…
  • Alors, je suis parti…
  • Aujourd’hui, il y a dans mon cœur…
  • Je suis…
  • Je ne sais comment cela commença…
  • Je ne sais comment cela se termina…
  • J’écris sur…
  • Vivre, dis-tu..

Tels les astres dont la présence ne se justifie pas,

Que tes mots soient…

Géraldine Andrée

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Quelle était donc cette force ?

Quelle était donc cette force,

quand j’étais adolescente,

qui m’incitait à terminer mes récits

par une poésie,

à faire en sorte

que ma phrase

se déhanche

jusqu’à la lisière

du silence

pour revenir,

telle la vague,

encore plus chantante

vers moi ?

– C’était la vie,

mon amie,

la vie !

Géraldine Andrée

Faire en sorte que ma phrase se déhanche jusqu’à la lisière du silence.

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Sujets d’écriture

Écris sur

  • La chambre à jamais perdue, et les rêves que tu y as faits, les rêves enfuis dans la nuit d’un autre temps, reconstitue-les comme un puzzle coloré
  • Les yeux émeraude de la chatte feue qui réapparaît au bout du sentier
  • L’histoire d’amour de tes vingt ans qui t’a tant meurtrie
  • Ton père lisant le journal dans la lumière du matin
  • La robe à volants de tes dix-sept ans, accrochée dans l’ombre de l’armoire que tu ne peux pas ouvrir pour l’instant
  • L’oiseau qui s’est cogné contre la vitre, la confondant avec le ciel
  • Les taches d’encre sur le buvard blanc, corolles d’avant les mots
  • Ta conscience qui est sans doute la même que celle tu avais quand, âgée de cinq ans, tu marchais dans le couloir de l’appartement rue Sigoyer, les yeux scellés par une conjonctivite
  • Tes boucles d’oreilles d’étudiante qui tintaient lorsque tu tournais la tête pour suivre le trajet de ton professeur préféré dans les allées de l’Amphi
  • La nappe à carreaux rouges sur laquelle est né ton premier poème
  • La fontaine de Damas à qui tu as fait la promesse de revenir, un soir d’avril, mais tu n’as pas pu. Pourtant, tu as promis. Alors, ce sera pour une autre vie. Tu reviendras au monde uniquement pour cela : tenir ton serment envers le murmure de la fontaine de Damas dans le bleu du soir
  • L’orage qui frappe pendant que tu es réfugiée sur l’île de la peau de l’amant
  • Ton foulard qui fleure bon le parfum que t’a offert une amie à jamais partie
  • Les quais de la gare gris de givre à l’aube et, les yeux cernés par l’insomnie, tu te demandes comment tu vas supporter cette journée qui commence si tôt
  • La clarté des crépuscules de Florence
  • Les livres que tu reliais toi-même quand tu avais dix ans ; les branchettes dont tu te servais pour joindre les feuilles de tes poèmes ; il te semblait, alors, que tu étais l’éditrice de la poésie de ta vie
  • Sur le siège de devant dans le bus, la nuque de l’inconnu que tu aurais aimé embrasser
  • Le tout premier matin à Majorque et les bretelles du maillot de bain que tu fais claquer contre tes épaules avant de rejoindre la vague initiale
  • Le visage endormi de ta grand-mère sous la lampe de ta mémoire
  • L’écriture inachevée tant que tu vis

Va à la ligne
reprends ton souffle
et continue
je t’en prie

tu n’auras terminé
ton ouvrage
que lorsque tu auras été absorbée par la page
laissant pour le regard

invisible
de ton prochain
l’ultime
signe

Géraldine Andrée

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Tous ces poèmes

Je songe
à tous ces poèmes
auxquels j’ai donné
naissance,

que j’ai contemplés
en silence
jusqu’à ce que j’entende
leur frêle souffle

dans la chambre
profonde
de ma mémoire,
ces poèmes

que j’ai bercés
en secret
sur les langes
de la page

et que j’ai nourris
avec le lait
noir
de mon encre,

ces poèmes
que j’aimé
faire grandir
d’aube en aube

et dont j’ai désiré
ardemment
qu’ils existent
bien avant

qu’ils ne soient mis
au monde
aux yeux
des autres,

ces poèmes
dont je suis certaine
qu’ils ont trouvé
mon nom

pour vivre,
peut-être,
mais surtout
pour me rendre

vivante
dans le seul fait
parfait
en lui-même

qui consiste
finalement
à leur donner
naissance

dans la nuit
sans que jaillisse
l’étoile
de leur cri.

Géraldine Andrée

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Nuit bleue

C’est une nuit bleue, celle du solstice de juin.
Une nuit intensément claire mais éphémère, constellée par les lueurs de la zone industrielle, si nombreuses qu’il me semble que le ciel étoilé a glissé devant la fenêtre.
J’aurai bientôt dix-sept ans. J’entends encore en souvenir, dans le silence enveloppant la chambre de mes parents, la chanson Bella Vita de David et Jonathan qui est passée à la radio pendant le dîner, sur le transistor d’argent.
Je regarde longuement la nuit bleue, traversée de reflets rouges à cause des ultimes forges de De Wendel qui brûlent au loin, vers Hayange. Et je me demande qui lira mes premiers poèmes, qui les aimera, qui m’aimera, qui posera ses mains sur mes pages comme si c’était ma peau.
Quel amant de ce que j’écris et que je ne connais pas ? Quel amoureux de ma vie ?

Géraldine Andrée

Et je me demande qui lira mes poèmes, qui les aimera, qui m’aimera… Quel amoureux de ma vie ?
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L’écriture est lecture

Je me réveille parfois
avec cette voix qui nie tout :
-Pourquoi écrire ?
Personne ne te lit de toute façon !

Et l’idée me traverse
d’abandonner
mon carnet de vérités
pour vivre, uniquement vivre.

C’est alors que j’entends
l’herbe me murmurer :
-Mais qui dira mon mouvement
sous le vent ?

Et la lumière d’ajouter :
-Qui saura que j’ai réuni
les pays et les temps,
si tu oublies mon journal ?

Même la chatte feue
de mon enfance
me dit du haut
de son silence :

-Mes yeux font confiance
en tes souvenirs
pour transmettre
leurs étoiles !

Alors, je reprends
mon carnet quotidien
pour noter ce que j’ai lu
sur le chemin de l’herbe,

dans les lettres de la lumière
au bord de la fenêtre
et dans la constellation du regard
de la chatte défunte.

J’écris pour faire lecture
de toutes les aventures
palpitantes
que tout ce qui a été créé

originellement
sans langage
– l’herbe, la lumière, la chatte –
raconte

au monde.

Géraldine Andrée

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Écris tes peines et tes joies

Écris tes peines et tes joies, tes peurs et tes espoirs, tes renoncements et tes métamorphoses, tes étoiles et tes soleils.

Écris tout ce que tu ne comprends pas dans l’impardonnable commis.

Écris ce que tu ne peux plus changer, quoi que tu fasses.

Écris tout ce dont tu as à rougir, tes hontes et tes satisfactions aussi.

Grave dans la page le manque (d’un père, d’un amant, d’un foyer) ; écris-en un poème qui te contente au moment de son achèvement.

Écris ton chemin qui part de ce point invisible pour se fondre dans ce blanc que tu conjures par l’étincelle supplémentaire d’une goutte d’encre à laquelle tu destines le mot prochain – et pourquoi pas l’Aurore, ici et maintenant ?

Écris pour que ta feuille soit cette flamme qui t’éclaire jusqu’à demain.

Écris pour que ton cahier ressuscite dans le froissement de la page tournée ce qui n’est plus – le jardin, la maison, l’enfant, l’ami.

Écris un conte pour toi, le roi ou la reine perdu(e) dans son royaume.

Écris pour explorer ce qui se cache dans la boîte rouge à douleurs et pour en faire toute une histoire avec d’autres couleurs.

Écris pour que la Vie ait le dernier mot

Géraldine Andrée

@L’Encre au fil des jours

Peut être une image de texte
Écris pour que ta feuille soit cette flamme qui t’éclaire jusqu’à demain.
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La maison du cahier

À l’heure où la société devient de plus en plus instable, où l’on ignore de quoi sera fait le simple lendemain, où le pays, la région, la maison dans lesquels l’on vit sont souvent précaires, il est important d’avoir « un chez soi » toujours fidèle : un cahier.

Pour beaucoup d’exilés dans des hôtels, de malades dans des chambres d’hôpitaux, d’anciens oubliés dans les maisons de retraite, de prisonniers – politiques ou pas -, le cahier a souvent constitué l’ultime refuge, l’île de silence au milieu du bruit, la chapelle au cœur du chaos, la chambre à soi selon l’expression de Virginia Woolf, offrant une solitude inspirante et réconfortante malgré la promiscuité avec les autres qui nous sont parfois bien étrangers.

Dans un logement exigu, le cahier peut offrir la perspective d’un océan à la fois immense et familier, une étendue de liberté rassurante.

J’ai déjà lu certains journaux intimes tenus par des gens auxquels l’espace privé avait été dérobé :

Il en est ainsi, par exemple, du Journal d’une vieille dame en maison de retraite de Jean Tirelli, écho universel de la voix d’une personne âgée recluse dans sa chambre anonyme d’Ehpad, Amandine, et dont Jean Tirelli, psychologue spécialisé des longs séjours, a retracé le témoignage après le décès de la vieille dame.

La métaphore du cahier comparé à une maison n’est, d’ailleurs, pas nouvelle. On la retrouve dans des titres d’œuvre comme La Maison de papier de Françoise Mallet-Joris ou Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire. Il est certain que le cahier nous ramène toujours à notre vrai pays, celui d’où l’on vient et auquel on appartient éternellement, où que l’on soit : le pays de notre âme.

J’ai déjà évoqué dans un précédent billet Le cahier de l’indicible
comment le fait d’entrer dans mon cahier m’a aidée à supporter une vie familiale difficile. En sortant de mon journal après y avoir séjourné pendant assez longtemps, j’étais suffisamment forte pour supporter le réel car je connaissais ma vérité et je savais que celle-ci était bien différente de la réalité. Le cahier m’avait aidée à tracer les contours de mon territoire intérieur et personnel.

La sombre période de la Seconde Guerre Mondiale regorge d’exemples expliquant combien la tenue d’un journal avait permis à des réfugiés, des gens cachés ou des déportés de survivre. J’ai pris la référence d’Anne Frank lors de mon précédent billet Le cahier de l’indicible. Anne Frank rentrait chaque jour dans sa maison qui n’avait rien à voir avec l’Annexe, une maison riche de conversations intimes avec Kitty, sa confidente imaginaire qui l’invitait à venir s’épancher dans cette maison de papier qu’était le journal.

De même, dans Une Vie bouleversée, Etty Hillesum fait du cahier un foyer qui lui permet d’accéder à un autre foyer qu’est son ardeur de vivre, d’aimer, de résider en son propre centre spirituel, au cœur d’elle-même. Dans son journal de 1941 à 1943, elle évoque le moment privilégié qu’est l’écriture matinale :

« Qui pourra le dire, et qu’importe ? Ces cinq minutes m’appartiennent encore. Dans mon dos la pendule fait tic-tac. Les bruits de la rue m’atteignent comme un lointain ressac. Une lampe ronde à lumière blanche, chez les voisins d’en face, perce le jour livide de ce matin pluvieux. Ici, devant le grand plateau noir de mon bureau, je me sens comme sur une île, à l’écart du monde.« 

Etty Hillesum, par l’écriture, pénètre dans un autre refuge, celui de l’instant présent. À tout moment, elle peut être arrêtée et emmenée dans un camp. La fureur du monde peut gronder et les bombes pleuvoir… Pourtant, à cet instant précis où elle écrit, il ne peut rien lui arriver.

Aujourd’hui, il est possible que votre patron vous maltraite, qu’un appel téléphonique vous crible de chagrin et qu’un message broie votre journée. Mais l’instant où vous êtes dans votre cahier est vraiment parfait.

Beaucoup de déportés ont gardé une lueur allumée dans leur psyché grâce à leur désir de rentrer chez eux et, pour garder ce désir vivant, ils ont écrit. Depuis le camp de Therensienstadt, Robert Desnos écrit des lettres à sa femme Youki ; Viktor Emil Frankl, psychiatre inventeur de la logothérapie, reconstitue patiemment et dans le secret absolu les fragments de son œuvre qu’un nazi a déchirée. Et combien d’autres auteurs inconnus ont écrit leurs pensées ou poèmes sur des lambeaux de tissu qu’ils cousaient à l’intérieur de leurs vêtements de prisonniers ?

Et s’il n’y a plus ni encre, ni feuille ? Alors, le corps tout entier se fait maison de papier. On écrit ses mémoires dans sa mémoire ; on écrit sur sa peau et parfois, c’est le chant qui se fait cahier –

« Et maintenant que je chante !

Ma harpe donne !

Je joue, je joue, je chante !« 

écrit le poète assassiné Itzhak Katzenelson -,

voire le monde entier.

Sur mes cahiers d’écolier

Sur mon pupitre et les arbres

Sur le sable sur la neige

J’écris ton nom

chante le poète Paul Éluard dans son poème Liberté.

Qu’importe ce qui t’arrive. Qu’importe où la vie t’emmène. Qu’importe où tu es. Tu peux rentrer chez toi, faire de l’instant présent une page sur laquelle te reposer. Quand les bruits et les aléas de l’existence t’assaillent, rejoins ton cahier. Déposes-y ton manteau qui te protège mais qui se fait si lourd – ce manteau de tes certitudes, de tes fausses convictions, de tes éphémères loyautés -, reprends ton souffle. Et, dans l’espace de la page, trouve un endroit où tes amis imaginaires, partis ou défunts, peuvent s’asseoir et converser avec toi. Décore les marges, telles des pièces qui seront à l’image des différentes personnalités qui composent ton être. Accroche quelque part un miroir où tu te regarderas à loisir en toute lucidité et où tu y décèleras ta vraie beauté. Meuble ce vide encore blanc de tes rêves. Allume la lampe d’un projet.

Et, quand le temps en toi sera redevenu beau, ouvre au centre de cette page une fenêtre par laquelle l’oiseau de l’inattendu peut entrer.

Géraldine Andrée

@L’Encre au fil des jours

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Écrire va changer ta vie

On te dit qu’écrire va changer ta vie. On t’a enseigné le pouvoir des mots, l’importance d’être attentif aux termes que tu emploies, aux tournures de tes phrases :

– Pas de négatives, s’il te plaît ! Seulement des affirmatives, des phrases positives car, tu le sais, l’Univers retient tout !
Si tu affirmes que tu es contre la guerre, l’Univers entendra le mot Guerre et il y aura toujours plus de guerres.
En revanche, si tu affirmes que tu es pour la paix, l’Univers expansera le mot Paix en toi, dans ton foyer et dans tous les pays.
Les mots, tu le sais, constituent les aimants de la loi d’attraction.
Par conséquent, écris avec les couleurs que tu souhaites pour ta vie. Emploie les mots qui te mèneront à ce que tu désires obtenir – mer, lumière, amour, peut-être…

On te dit aussi que le mouvement de ta main, le choix de l’encre et du papier incarneront tes rêves dans un texte – qu’il soit récit ou poème…

Alors, tu prends ton stylo magique. Chaque matin ou chaque soir, tu écris. Au fil des jours, tu écris. Au fil du temps, coule ton encre. Tu te racontes des histoires positives, des aventures inspirantes.

Seulement voilà, rien ne change en apparence, dans ta vie. Le robinet fuit toujours ! Tu n’as pas encore eu le courage d’appeler le plombier. Et puis, de toute façon, tu n’aurais pas de quoi le payer… Ton amoureux ne t’a pas téléphoné. Ta mère ne te parle plus depuis deux mois. Tu vis dans ce petit appartement dont la tapisserie défraîchie devrait être remplacée.

Cela ne fait rien. Écris. Même si tu stagnes, avance sur ta page. Même si tu te décourages, tiens le stylo. Même si tu es noyé(e) par les problèmes, nage dans l’inconnu qu’est le blanc du papier. Avec l’élan de l’enfant que tu fus, embrasse la vie telle qu’elle est. Confie au silence du papier les mots qui décrivent fidèlement ce que tu vis :

-J’ai besoin d’écarter ces murs qui m’étouffent. Chaque goutte du robinet est l’une de mes larmes. Le robinet de la cuisine pleure pour moi. Je crois que Jean est égoïste. Il faut que je le quitte. Et puis, je suis dépendante de ma mère.

Écris ta vie telle qu’elle est. Et tu verras que, doucement, tandis que le fil de ton encre se dévidera, ce ne sera pas ta vie qui changera mais le regard que tu porteras sur elle. Tu la considéreras sous d’autres aspects. Tu repèreras ses angles morts et tu trouveras des solutions abordables pour chaque jour :

-Et si j’achetais demain un bouquet pour égayer cet appartement tristounet ? La météo annonce soleil. J’ouvrirai les fenêtres, en attendant mieux. Je vais remplacer mon rendez-vous avec Jean par un bon bouquin…  Et si je rendais service à ma mère ? Ce serait une façon de nous réconcilier et elle me donnerait, peut-être, l’adresse d’un bon artisan…

Les murs s’agrandiront. Ton espace s’éclairera. Ce ne sera pas ta maison extérieure qui aura embelli, mais bel et bien ta maison intérieure. Des voix y résonneront. Ce ne seront pas des amis d’un jour qui viendront te rendre visite, mais des aïeux, des guides, des anges, dans le battement d’ailes de nouvelles idées.

Un matin, tu te verras écrire :

-J’ai l’impression que j’habite autre part ! Mais ce n’est pas qu’une impression ! C’est bien réel ! En vérité, c’est dans ce nouveau Moi que je demeure !

Ainsi, tu auras fait le voyage. Tu auras franchi un pont à chaque page tournée. Tu seras arrivé(e) de l’autre côté de la rive et tu feras signe à ton ancien Moi pour qu’il te rejoigne. Tu te seras rencontré(e).

Ta vie ne sera plus la même parce que l’écriture t’aura changé(e).

Géraldine Andrée