C’est une nuit bleue, celle du solstice de juin. Une nuit intensément claire mais éphémère, constellée par les lueurs de la zone industrielle, si nombreuses qu’il me semble que le ciel étoilé a glissé devant la fenêtre. J’aurai bientôt dix-sept ans. J’entends encore en souvenir, dans le silence enveloppant la chambre de mes parents, la chanson Bella Vita de David et Jonathan qui est passée à la radio pendant le dîner, sur le transistor d’argent. Je regarde longuement la nuit bleue, traversée de reflets rouges à cause des ultimes forges de De Wendel qui brûlent au loin, vers Hayange. Et je me demande qui lira mes premiers poèmes, qui les aimera, qui m’aimera, qui posera ses mains sur mes pages comme si c’était ma peau. Quel amant de ce que j’écris et que je ne connais pas ? Quel amoureux de ma vie ?
Géraldine Andrée
Et je me demande qui lira mes poèmes, qui les aimera, qui m’aimera…Quel amoureux de ma vie ?
Toute petite, je priais Dieu, le soir, couchée dans le noir. Je Lui demandais de changer la réalité. Mais lorsque je me réveillais, ma famille n’était pas plus gentille et les professeurs m’avaient toujours à l’œil.
Pourtant, sans que je m’en aperçoive, une autre réalité – la mienne -, s’est créée sur cette réalité. J’empruntais des livres de la Bibliothèque Verte dans la salle de lecture blafarde de la bibliothèque de ma ville. Et mes héroïnes préférées m’ont accompagnée chaque jour dans ce que j’avais à vivre. Elle partaient avec moi à l’école. Elles me racontaient leur vie pendant la récréation, tandis que j’étais assise sur l’une des marches glacées de l’escalier de pierre, en plein hiver. Alice Roy, en particulier, était ma plus grande amie. Et lorsque je voulais fuir la triste salle de classe toute grise, Oui-Oui, le petit pantin de bois me disait en cachette, installé sur mes genoux : En voiture ! Pour la grande aventure !
Pendant que ma mère se plaignait que sa maison était toute sale, je dansais avec les branches du platane au rythme du vent, devant la fenêtre de ma chambre. Et puis, j’avais ma marionnette, Cathie, qui mettait en scène par la seule entremise de ma main les disputes de famille en y apportant un humour touchant qui me faisait pleurer et rire aux éclats à la fois.
Quand j’ai grandi, j’ai voulu partir. Mais il n’y avait pas grand chose dans ma valise. C’est alors que la Poésie m’a dit : Viens ! Je t’emmène ! Ensemble, nous avons pris le chemin bordé de pins sylvestres jusqu’au chant d’une fontaine enchantée, cachée au cœur d’une forêt d’un autre temps. J’avais suivi la voix d’un poète, dit mineur, qui voyait immensément clair en mon âme.
Certes, la réalité n’avait pas changé mais mon regard sur cette réalité avait bel et bien changé. Si le monde extérieur existait toujours, je possédais, moi, un univers intérieur bien plus grand que ce monde qui, après tout, ne faisait sa révolution qu’autour de lui-même. Et les deux réalités se côtoyaient désormais, sans se heurter.
Et vous, comment vous créez-vous votre réalité quand l’autre est difficile à vivre ?
Au mot mémoire j’associe le mot miroir La mémoire est un miroir où se reflète l’éclat des choses passées
le garage à vélos sous le feuillage la serre de Grand-Père aux plantes entrelacées les œufs de Pâques cachés sous le noisetier les vitres vertes de la verrière qui rendaient l’ombre de ma chambre si claire l’épais rideau derrière lequel j’avais peur de voir surgir le Gnolo ce monstre hydrocéphale le tablier de Grand-Mère rempli de nèfles les fleurs de porcelaine bleue des tasses de thé le fauteuil à bascule sous le soleil de l’après-déjeuner le vitrail de la porte qui allumait le long de l’escalier des lueurs orangées le feu de feuilles flétries dont la fumée se dévidait jusqu’aux lisières de la ville
La mémoire est un miroir où les souvenirs brillent encore de tous leurs yeux d’or à la manière des astres morts
Écrivez cette simple question en haut de votre page :
Qui suis-je ?
Nous l’avons vu, vous êtes bien plus que ce que les gens disent de vous. Les sagesses ésotériques enseignent que nous venons tous de la Lumière, que, selon les mots de Teilhard de Chardin, nous sommes un esprit “venant faire une expérience humaine” dans cette matière terrestre qu’est le corps.
Autrement dit, notre nom, notre visage, notre métier, notre entourage sont éphémères. Nous passons en tant qu’esprits à travers eux pour rejoindre ensuite une vibration immense.
Il est peut-être temps de trouver notre essence…
Si vous étiez un vaste espace, que seriez-vous ? Un océan ? Un ciel ? Un désert ? Une nuit étoilée ? Écrivez un petit texte poétique commençant par Je suis.
“Je suis la nuit qui porte toutes les étoiles. Une seule brille en moi, plus intensément que toutes les autres. C’est l’étoile de ma naissance. Elle m’indique le chemin à suivre ; le chemin à vivre.”
Maintenant, imaginez que vous êtes le tout petit. Que seriez-vous ? Une brindille ? Une pervenche ? Un caillou ? Un cheveu d’enfant ? Un fétu de paille ? Une aiguille ? Une goutte ? Rédigez un petit texte où vous vous inventez… grain, pétale, étincelle flottant dans le très grand – le ciel, l’océan, le désert, la nuit…
“Je suis libre comme un fétu voguant dans le vent.”
Que ressentez-vous ? Notez ces mots-clés : ouverture, liberté, épanouissement, expansion…
Associez-y des sensations : ma poitrine se dilate ; j’ai chaud ; je me sens bien, apaisée, délivrée… Je me gorge de silence…
Coloriez ces mots. Entourez-les. Vous pouvez même les peindre, y associer un dessin ou une image qui vous inspirent…
Voilà. C’est Vous. Votre plume vous a défini de manière plus large que la définition courante que vous vous donnez et que les autres vous donnent.
Ce jour qui était écrit est arrivé. La valise est prête. Dedans, ont été rangés la robe de printemps au col ouvert comme une corolle, le maillot de bain bleu uni en une seule pièce, la collection de barrettes, un sachet de sucettes multicolores, Le Petit Prince de Saint-Exupéry, du papier à dessin, des feutres et la poupée Annie. Mon enfance s’en va pour des vacances qui dureront toute une vie. Mais mon enfance me dit :
« Je t’écrirai des lettres où je te raconterai comment j’ai sauté dans la vague, comment j’ai accroché toutes mes barrettes, tels des papillons, sur mes mèches de soleil, comment j’ai partagé mes sucettes avec une amie plus petite que moi, comment j’ai maquillé avec mes feutres le visage d’Annie pour les noces de l’astre et de la rose et comment ma robe en corolle annonce d’autres métamorphoses.
Ces lettres, je te les enverrai pendant toute ton existence pour que tu n’oublies pas que j’existe, pour que tu saches, malgré les épreuves, comment vivre et pour que tu en fasses un grand livre de dons et de grâces dédié au jour ultime. »
Comment sera ma prochaine vie ? Quel corps, quels regards, quelle chambre accueilleront mon âme en voyage ? Le ciel sera-t-il le même que celui d’aujourd’hui, avec son seul nuage ?
Peut-être renaîtrai-je dans ce jardin et les mille yeux des myosotis que voici éclaireront mon chemin.
Il ne me reste qu’une seule pensée pour toi mais c’est une pensée qui réunit
tous les chemins de juin, l’écume de la vague qui tremble comme une dentelle autour des jambes de la brise, les corbeilles de dattes brunes et de figues séchées sous le bras, les roses du jardin suspendu devenues mauves sous le clair de lune, les flammes qui confient à l’ombre leurs phrases rousses, les encorbellements des ruelles espagnoles d’où vole un rayon de soleil jusqu’à ton cou, les orangers de Tunisie bordant la route à fleur de désert, le pont qui enjambe l’écrin bleu de quelques nénuphars, l’étoile d’un ciel d’août que tu emportes dans ton regard, ta peau chaude et blonde comme du pain au matin, notre terrasse qui se prolonge au-dessus du monde, et notre voyage dans la nuit avec les phares qui nous éclairent juste pour une seconde supplémentaire… Je n’ai pas peur. Ces lueurs suffisent pour continuer jusqu’à la maison.
Il ne me reste qu’une pensée pour toi mais c’est une pensée qui rassemble en un seul poème tout ce que nous avons vécu ensemble.
J’ai relu le journal intime que j’ai tenu dans l’ancienne maison. J’ai été surprise par l’encre toujours bien nette, toujours bien vive de mes phrases et j’ai retrouvé comme de vieux amis des mots comme « véranda », « platane, « chat », « jardin », des expressions aussi telles que « l’heure mauve dans ma chambre », « l’aube aux lisières », alors que toutes ces choses ont disparu depuis longtemps et qu’il ne subsiste aucune preuve de leur existence, sinon la trace de leur passage dans la neige éternelle de la page et qui me mène à un espace de silence que je me crée dans le temps d’aujourd’hui pour mieux me souvenir…