Si j’attends que la vie m’apporte l’inspiration, je n’écrirai jamais.
Alors, j’écris pour que la vie m’inspire,
comme si je semais des graines
pour que les oiseaux viennent.
Géraldine Andrée

Si j’attends que la vie m’apporte l’inspiration, je n’écrirai jamais.
Alors, j’écris pour que la vie m’inspire,
comme si je semais des graines
pour que les oiseaux viennent.
Géraldine Andrée
Je songe à la maison de mon enfance, réduite à des éboulis.
Je songe à la chambre où vivaient mes rêves de fillette, au platane flamboyant près de ma fenêtre, aux tuiles couvertes de mousse, au banc de rotin vert sur lequel dormait la chatte blanche, aux frêles grappes qui pendaient de la vigne – tout cela détruit à coups de pelleteuse pour agrandir la superficie d’un supermarché.
Quelques jours avant de quitter définitivement la maison déjà vendue au grand PDG, mes parents ont fait le tour des pièces – toutes vides. Leurs pas résonnaient dans le silence de cet espace sacrifié.
Mais lorsqu’ils sont entrés dans ma chambre, ils ont par hasard levé les yeux au-dessus de la porte. Y était encore accroché le petit tableau de la Vierge à l’Enfant qu’ils avaient bien failli oublier. C’était un tableau tout doré. La Vierge, revêtue d’une robe orange brillante, tenait sur ses genoux son enfant nu, aux yeux écarquillés.
Je la regardais avant de m’endormir. Je me souviens de l’avoir fréquemment priée pour obtenir de bonnes notes à l’école, la seule chose vraiment importante pour que je sois acceptée par ma famille à cette époque.
Plus tard, alors que je devenais une adolescente, j’ai regardé la Vierge à l’Enfant autrement. Je me demandais si cette femme lumineuse, assise dans le tableau et souriante en tenant son enfant potelé entre ses bras, savait ce qu’était le sang du mois, les maux de ventre et la corolle douloureuse des seins à fleur de vêtement.
Je n’ai jamais eu de réponse. Mais je me suis sentie devenir une femme comme elle au fil du temps.
J’étais déjà partie bien loin lorsque la maison a été vendue pour disparaître avec son jardin, remplacée par un immense parking. À vrai dire, je dépérissais pour une peine de cœur et je n’avais plus ce cadre doré en mémoire. Je doutais fortement d’avoir un enfant de cette histoire d’amour et je m’en désolais.
Mais j’ai été bien contente d’apprendre, au cours d’une conversation, que mes parents avaient sauvé la Vierge à l’Enfant par pure coïncidence.
J’y ai perçu le signe qu’il fallait que je continue à vivre et surtout que je commence à nourrir la femme indépendante qui trépignait en moi.
Cette année-là, je suis revenue à mon journal que j’ai posé sur mon cœur comme un enfant et qui m’a conseillé de « laisser tomber cet homme ».
Mes parents ont accroché la Vierge à l’Enfant dans leur nouvelle chambre, au-dessus d’une autre porte et derrière le cadre, ils ont épinglé une tige de buis qui symbolise l’éternité au-delà de tout ce qui peut être détruit.
Géraldine Andrée
Avec sa plume, elle retourne au cœur de l’été de ses dix ans, dans la maison de vacances de sa grand-mère où la brise se répond à elle-même par chaque fenêtre ouverte, où brille l’herbe sous le soleil d’août, constellée de lueurs vertes.
La maison de l’enfance fleure bon la confiture chaude de reines-claudes.
Le ventre rempli de fruits, un peu alourdie par sa gourmandise, elle joue près de la remise à la marelle dont elle a tracé les traits de craie blanche sur la pierre grise.
Elle sautille ainsi de case en case, depuis la terre jusqu’au ciel, c’est-à-dire jusqu’à la tache d’ombre dans laquelle se love la chatte qui parfois tressaille, traversée par un rêve – sans doute est-ce la rencontre d’un chat d’un autre pelage…
Puis elle répond à l’appel de sa grand-mère qui se pose, telle une aile chatouilleuse sur son oreille :
-Viens, ma petite ! C’est l’heure !
-Oui ! J’arrive !
Et elle se retrouve à vivre dans l’été de ses cinquante ans. Elle se sent alourdie par la vie qui lui a bien souvent offert des fruits verts. Elle a perdu l’insouciance qui l’incitait à sauter dans des cases blanches depuis cette terre dont elle a pensé, à plusieurs reprises, être étrangère.
Mais elle possède la maturité nécessaire de jouer à une autre marelle – celle d’un poème évoquant sa vie et qu’elle écrit dans son cahier gris par une chaude après-midi de dimanche d’août.
Elle saute lentement, de carreau en carreau. Les enjambements remplacent son cloche-pied de petite fille entre les numéros, désormais devenus des mots.
Et elle sait qu’elle a atteint le ciel lorsqu’avec la pointe de sa plume Major,
elle est arrivée jusqu’à son cœur.
Géraldine Andrée
Dans mon journal, on trouve de vives conversations. Et de quoi y parle-t-on ?
Et on trouve finalement sa vérité, celle qui aide à vivre.
Voilà comment on converse dans mon journal.
Et dans le vôtre, de quoi y parle-t-on ? Faites la liste de toutes vos conversations. Ce sera un excellent sujet de journal !
Géraldine Andrée
Enfant, je laissais toujours des petits mots aux autres lorsque je m’éloignais :
« Je lis dans le jardin »,
« Je suis à l’intérieur du noisetier »,
« Je vais chercher un livre au centre commercial »,
« Je suis tout au fond de mon rêve. Ne me dérangez pas. »
Bien plus tard, à l’âge de trente ans, après une violente rupture amoureuse – promesse de mariage annulée, un appartement rien que pour moi – et après avoir été abandonnée par tous les amis communs au couple, je me laissais des petits mots, le soir, au-dessus de ma tasse de petit déjeuner et que je lisais avec délectation le lendemain matin, avant d’aller travailler :
« Je te souhaite une bonne journée. On ira au cinéma, ce soir. »
« À tout à l’heure ! Prends soin de toi ! »
« Courage ! Tu vas réaliser tes rêves ! »
« Rien ne dure. Mais garde en souvenir la joie ! »
J’en ai collé ainsi des posts-it, frêles morceaux de papier ou fragments de feuillets arrachés d’un vieux carnet à spirale inutilisé. J’avais l’impression de consteller mon espace d’un peu de mon être à chaque fois et, ainsi, de reconstituer mon unité narcissique.
Les petits mots m’ont aidée à traverser la vie. Je m’en écris tous les matins sur mon journal intime. Mais j’aime aussi en disséminer chaque jour dans ma maison qu’est mon site ou cette page L’Encre au fil des jours car c’est ainsi, je ne peux voguer au fil de chaque journée sans laisser derrière moi quelques pétales, réflexions, poèmes, pensées qui ne demeurent qu’en dansant sur un instant, avant de disparaître comme moi – jusqu’au lendemain peut-être, si d’aventure, quelqu’un d’autre les trouve tels que je les ai laissés.
Géraldine Andrée
Je me souviens du flamboiement de la forêt à la fenêtre de la maison disparue
Je me souviens de la gorgée de miel sur mon angine
Je me souviens des brûlures d’ortie que je frôlais quand je marchais dans les herbes folles
Je me souviens du bouquet de la mer qui s’ouvrait par surprise entre deux terres après de longues heures de route
Je me souviens de mon adieu au cèdre du Liban du haut de mes sept ans
Je me souviens de l’odeur d’imprimerie des catalogues de jouets dont je passais commande au Père Noël
Je me souviens des indigestions de brioche
Je me souviens des bâtons de réglisse que je suçais pendant ma varicelle
Je me souviens de la croûte que j’enlevais avec délectation de mes blessures
Je me souviens de ma longue conversation avec le noisetier j’en ai retenu le murmure des feuilles et le grand vague du vent
Je me souviens de la bulle de chewing-gum rose qui a éclaté dans mes cheveux et l’institutrice m’a fait faire le tour des classes ainsi coiffée
Je me souviens de ma rencontre avec l’abeille dans une corolle de rose
Je me souviens de l’odeur de tabac dans le salon de mon grand-père
Je me souviens du minuscule service à thé argenté pour petite fille
Je me souviens de la panthère du tapis persan qui voulait me dévorer de toutes ses dents quand je marchais sur elle
Je me souviens des sauces caramélisées de ma grand-mère
Je me souviens des pleurs et de la morve ravalés sur l’insoluble problème de géométrie
Je me souviens de mon cartable trop lourd dont la lanière me sciait les épaules
Je me souviens d’un pays du Sud qui m’est revenu dans la triste salle d’étude alors que je n’y étais jamais allée
Je me souviens de mon cahier ouvert après avoir marché longtemps dans la neige bleue
Et j’ai compris bien après l’enfance qu’écrire c’est marcher dans la neige tous les jours même lorsque la lumière de l’été accroche sa dentelle dorée aux volets vénitiens
Je me souviens de mes seins qui me faisaient mal quand j’enfourchais mon vélo C’était fini J’avais grandi
Et vous, quels sont vos souvenirs d’enfance ?
Géraldine Andrée
Au mot mémoire j’associe le mot miroir
La mémoire est un miroir
où se reflète l’éclat des choses passées
le garage à vélos sous le feuillage
la serre de Grand-Père aux plantes entrelacées
les œufs de Pâques cachés sous le noisetier
les vitres vertes de la verrière qui rendaient l’ombre de ma chambre si claire
l’épais rideau derrière lequel j’avais peur de voir surgir le Gnolo ce monstre hydrocéphale
le tablier de Grand-Mère rempli de nèfles
les fleurs de porcelaine bleue des tasses de thé
le fauteuil à bascule sous le soleil de l’après-déjeuner
le vitrail de la porte qui allumait le long de l’escalier des lueurs orangées
le feu de feuilles flétries dont la fumée se dévidait jusqu’aux lisières de la ville
La mémoire est un miroir
où les souvenirs brillent encore
de tous leurs yeux d’or
à la manière des astres morts
Géraldine Andrée
Aujourd’hui, elle a décidé d’écrire sa vie, non comme les autres la lui avaient prédite, mais comme elle l’avait choisie. Alors, elle s’est acheté à la papeterie Lotharingie un stylo aux reflets de lumière, pour noter dans l’espace de chaque page nouvelle ses projets et ses rêves, ses souhaits les plus chers, toutes les aventures qu’elle se permettrait, les expériences qui naîtraient de sa confiance en l’Univers. Elle ne demeurerait plus en arrière, retenue par les oracles d’autrui. Le stylo la ferait avancer vers la version la plus claire d’elle-même.
Visualisez votre stylo magique. Visualisez sa pointe, son coloris, l’encre qui passe par lui pour incarner votre vie sur le papier, dans ce texte qui prendra corps.
Qu’allez-vous écrire aujourd’hui pour devenir un peu plus ce que vous êtes promis à être ?
Géraldine Andrée
Chaque matin,
avant d’ouvrir
ma fenêtre
sur le ciel
du jour,
j’ouvre
une autre
fenêtre,
mon cahier,
sur le ciel
toujours
blanc
du papier
et je vois
le jour
de mon âme
apparaître
pour éclairer
ce que je vivrai
aujourd’hui.
Géraldine Andrée
J’écris pour retrouver le soleil des anciennes vacances qui dansait sur le carrelage de faïence de la cuisine à Porto.
J’écris pour que ma main refasse connaissance par la pointe d’un Bic bon marché avec la légèreté de mes pieds d’enfant.
J’écris pour emprunter dans ma chambre une passerelle qui mène à l’infini.
J’écris pour pardonner à la vie ses coups bas, même si ce n’est pas facile.
J’écris pour m’émerveiller du reflet du matin dans ma cartouche d’encre, tout simplement.
J’écris pour me sentir écoutée par le bruissement du papier.
J’écris pour faire de chaque carnet un voyage et quand on me demande : « C’est pour où ? », répondre : « Vers moi-même. »
J’écris pour m’imaginer que mon souffle se répand dans les feuillages du jardin disparu.
J’écris pour célébrer la compagnie de la solitude.
J’écris pour puiser la force de continuer ce livre chaque jour.
J’écris pour conclure chaque page de mon journal par cette fidèle phrase : « Il ne te reste qu’à te mettre à l’ouvrage. »
J’écris pour semer des mots quand je me suis égarée sur des chemins que d’autres ont tracés pour moi – Petite Poucette qui ne renonce pas.
J’écris pour ne plus avoir à me justifier par la suite, car je préfère laisser de la place aux corolles futures.
J’écris pour rien ; j’écris sur rien. Et si l’on me dit que c’est ridicule, j’écris pour accorder de l’importance à un pépin de pomme.
J’écris pour que, dans mon histoire à moi, au moins, ce petit pépin tout brun donne un pommier qui va grandir au fil de ma vie.
Géraldine Andrée