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Atelier d’écriture créative 1 : La voyageuse dans la nuit

Il était tard…

J’aurais souhaité écrire sur la plage au crépuscule, afin que le soleil déposât son éclat ultime sur la page.
Hélas ! J’avais laissé passer le temps en faisant la fête sur la terrasse.
Lorsque mes pieds foulèrent le sable, la petite lune m’observait déjà, répandant le lait de sa lumière autour de son visage à moitié enfoui dans l’oreiller du ciel…
Pendant un instant, je songeai à retourner dans ma chambre pour écrire, comme d’habitude, sous la lampe.
Mais je me ravisai.
Le temps que je remonte la pente herbeuse, que je marche le long du chemin bordé de pins et que je pousse le portail de l’hôtel, une demi-heure s’écoulerait au moins. Et je craignais, au moment d’écrire, de me sentir trop lasse…

Je m’assis alors sur le rivage.
Je n’avais pour seule lueur que le point bleu d’une petite lampe au centre d’un groupe de jeunes Orientaux qui fumaient le narguilé en bavardant doucement, à quelques mètres de moi.
Comment parviendrais-je à écrire avec une syntaxe acceptable, à maintenir l’équilibre de mes phrases, à tracer des lettres lisibles et correctes, sans lumière suffisante ?
Pour mettre un terme à cette question obsédante qui dansait dans ma tête, j’ouvris mon cahier.

La page me semblait la nuit elle-même… Néanmoins, il me fallait faire confiance à l’élan de mon esprit et au mouvement de ma main. Peut-être que l’univers qui se déployait là, juste devant mon regard, me demandait de me frayer avec ma plume un chemin dans le noir infini, tel un oiseau nocturne…

J’écrivis donc. Je me laissai porter par mon vol, la vibration de l’aile d’une idée nouvelle qui me précédait, sans me préoccuper de la direction rationnelle du texte sur le papier. J’ignorais comment la pointe de ma plume occupait l’espace. À gauche ? À droite ? Au milieu ? L’écriture se détachait de mes yeux, courait au gré de son désir d’exister, comme une enfant désobéissante. Enfin ! J’échappais à l’autorité de ma volonté ! Je lâchais prise sur mes intentions. Je ne me souciais plus du résultat. Je savais, certes, que j’écrivais un roman au sujet de ma vie. Mais le Comment demeurait un mystère. L’écriture allait bien plus loin que ce projet. Elle dépassait toutes mes velléités. C’était elle, la voyageuse dans l’obscurité. Et je me fiais, en tant que sa compagne de route, à son tracé, même s’il m’était inconnu et invisible.

À la fin, le groupe d’Orientaux s’était dispersé. Le silence avait envahi la plage. Je n’entendais que la respiration des vagues…

Alors, je refermai mon cahier, me levai et foulant, pieds nus, le sable, je repris la pente herbeuse…

Quand j’allumai la lampe de ma chambre d’hôtel, je fus éblouie par mes pages. Les mots ne s’entrechoquaient pas mais s’unissaient. Les lettres s’enlaçaient comme des amoureuses ; une phrase s’enroulait autour de sa sœur ; une autre se déliait vers le haut, sans destination, poursuivant un point inexistant dans la marge. Des expressions s’épousaient, donnant naissance à des associations insolites, des néologismes poétiques, des images qui me révélaient la splendeur de ma propre profondeur que j’avais ignorée pendant trop longtemps.

C’est ainsi que la métaphore la mer de mon âme m’apparut, m’invitant à l’explorer très tôt le lendemain en tant que plongeuse.

Quant à mon traditionnel roman, il s’était métamorphosé pour devenir, au moment où l’héroïne, trahie et en pleurs, s’effondre sur son journal intime sans parvenir à raconter de manière structurée l’histoire qui la faisait tant souffrir,

long calligramme.

Je me sentais heureuse. J’étais récompensée d’avoir accepté d’écrire aveuglément, d’avoir pris le risque d’écrire mal, car cette expérience m’avait rendu au centuple ce que j’avais consenti à abandonner, en m’offrant un lumineux résultat que je n’attendais pas.

L’écriture dans la nuit m’avait éclairée.

Essayez, vous aussi. Asseyez-vous avec confiance dans le noir. Ouvrez votre cahier et voyez ce qui s’écrit indépendamment de vous, avec le regard de votre cœur.
Renouvelez l’expérience lorsque vous êtes très exigeant – voire tyrannique – envers votre être, que votre mental vous en demande trop, que vous doutez ou que vous avez peur.

Car ce sont ces doutes, ces résistances et ces peurs qui, assurément, vous enferment dans la nuit.

Écrivez,
surtout si une lueur
est trop lointaine.
Parce que l’écriture vous mène
à une source certaine
de lumière :

vous-même.

Géraldine Andrée