Si je devais « achever l’Inachevé »,
je dirais adieu à la maison avant qu’elle ne soit détruite. Je regarderais chaque arbre, chaque fleur, chaque caillou, chaque oiseau du jardin et je saluerais le platane roux qui coiffait les tuiles de ma chambre en disant :
– Demeure de mon enfance, tu demeures dans ma mémoire à jamais!
Je caresserais la chatte qui aimait s’asseoir sous la corolle des lampes, le soir, et j’emporterais le reflet vert de ses iris qui me regardent parfois dans mes rêves.
J’aurais bien conscience que j’embrasse pour l’ultime fois ma grand-mère, par une belle journée de juin, avant qu’elle ne s’éteigne.
J’irais sans crainte sur la terrasse qui surplombe la ville et je décrirais à ma grand-mère aveugle tous les bleus qui se mêlent à la lisière de la terre et du ciel.
Je terminerais le journal de mon adolescence.
Je prendrais des notes précises sur le paysage lors de ce voyage en autocar à la frontière irakienne ; je parlerais au silence du désert qui m’était offert. Et j’écouterais le murmure du vent dans les sables comme si c’était la voix d’un amant.
Je photographierais le Mont Ararat à l’aube en songeant avec un sourire adressé à mon âme : « Les valises peuvent bien attendre ! »
J’aurais le courage de parler au téléphone à mon oncle avant son grand voyage, l’année où il neigea beaucoup.
Si je devais « achever l’Inachevé »,
j’accomplirais tout cela et bien plus encore.
Je prendrais conscience du coeur battant de la vie juste avant la mort – moi qui, trop vivante, si légère et insouciante, presque insolente vis-à-vis de la gravité du temps, impatiemment debout dans le soleil,
n’ai pas su accomplir tout cela à temps.
Peut-être qu’il existe un seul chemin pour « achever l’Inachevé »,
écrire
une lettre à chaque feuille, chaque fleur, chaque caillou, chaque étincelle, chaque aile
que j’ai quittés trop vite,
de peur d’être quittée ;
une lettre à la chatte sous la lampe de chevet,
aux bleus de la ville,
à ma grand-mère dans son fauteuil,
à mon oncle quand ma voix est restée muette un soir de janvier,
à mon cahier fleuri d’adolescente oublié dans un tiroir – que j’avais pourtant intitulé Mémoires,
à moi-même qui ne savais pas
que c’était « la dernière fois ».
Ecrire ces lettres
me prendrait toute la Vie.
Ecrire ces lettres
redonnerait vie
aux morts qui me parlent, parfois,
dans la nuit.
Géraldine Andrée
J’aime bien l’idée d’achever l’inachevé.
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Merci ❤
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Absolument sublime!!!!
Tant de délicatesse, de tristesse, de résilience !
C’est sublime !
Bravo ! Géraldine !
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Merci à toi pour ce partage de tes impressions !
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